Interview: « L’arbre est en danger mais on va garder l’espoir », Désiré Ouédraogo, Chef de Programme Afrique de l’Ouest de TREE AID

« L’arbre est en danger ». C’est la conviction de Désiré Ouedraogo, Chef de programme Afrique de l’Ouest de l’ONG Britannique TREE AID. Dans l’interview qu’il nous a accordée, Désiré Ouedraogo rassure que des actions sont menées par TREE AID afin de contribuer à renverser la tendance au grand bonheur de l’environnement. La résistance est forte, mais il rassure qu’ils maintiendront le cap. 

L’intégralité de l’interview est à lire???

Sentinelle BF : Vous êtes le Chef de Programme de l’ONG TREE AID en Afrique de l’Ouest, alors quelle présentation faites-vous de cette ONG dans  la protection de l’environnement ? 

Désiré Ouédraogo : TREE AID est une ONG internationale britannique qui intervient dans le domaine de l’environnement avec un bureau régional basé au Burkina Faso à Ouagadougou. Sa  zone d’intervention couvre le Burkina Faso, le Mali, le Niger et le Ghana, en Afrique de l’Ouest. Nous avons également un bureau en Ethiopie et la direction de l’ONG est basée à  Bristol en Angleterre. C’est une ONG qui intervient spécifiquement dans le domaine de l’environnement beaucoup plus sur les questions  de l’arbre ; comment utiliser l’arbre comme un moyen de lutte contre la pauvreté. Nous pensons que dans ces pays de zones arides, l’arbre est une source de vie. Alors, nous nous sommes donnés comme vision de travailler avec ces communautés prospères à travers ces terres arides où les arbres soutiennent les moyens de subsistances et enrichissent l’environnement. Notre mission est de permettre à des personnes vivant dans les zones arides en Afrique à déverrouiller le potentiel de l’arbre afin de réduire la pauvreté et protéger l’environnement. Cela veut dire que c’est utiliser l’arbre à travers toutes ses potentialités pour améliorer les conditions de vie, mais c’est aussi  veiller à sa protection, à sa restauration, à sa gestion de façon durable.

Sentinelle BF : Comment travaillez-vous pour opérationnaliser cette vision sur le terrain ?

Désiré Ouédraogo : Nous avons des programmes stratégiques pour opérationnaliser notre mission. Des programmes qui se fixent pour objectifs, par exemple d’améliorer la nutrition et les revenus des ménages pauvres à travers les produits forestiers non ligneux pour ce qui concerne l’objectif 1. Comment utiliser les produits forestiers non ligneux à travers des entreprises rurales, villageoises pour en faire du business qui concourent à augmenter les revenus. Nous avons également des actions qui doivent concourir à protéger l’arbre. Comme je le dis, si vous tirez profit d’une ressource, il faudrait veiller à ce que ce capital soit durable. Donc l’objectif 2  est d’accompagner ces communautés à protéger, restaurer le couvert végétal et améliorer de façon durable leur résilience vis à vis du changement climatique. Enfin, l’un des objectifs, comme toute intervention, s’est orienté vers les politiques et les textes qui balisent notre action. Si ces actions  ne sont pas conduites  dans un environnement politique, juridique, règlement et institutionnel favorables ou ne s’adaptent pas aux réalités, cela peut contribuer à freiner ou à donner des obstacles aux impacts des initiatives que nous menons ou que nos partenaires mènent sur le terrain en matière de promotion, de valorisation et de gestion de la ressource arbre. L’objectif 3 pour nous est de prendre en considération ces problématiques à travers l’influence des décideurs  ou des politiques sur l’ensemble des pratiques.

Sentinelle BF : Quelles sont les grandes actions qui ont été menées par cette ONG au Burkina Faso ?

Désiré Ouédraogo : Alors, je vous disais que nous travaillons à travers des programmes et des projets. Ces projets répondent de façon concrète aux aspirations et aux besoins des communautés sur le terrain. C’est sur la base d’un processus participatif que nous formulons ces projets. Actuellement, au Burkina par exemple, nous avons trois programmes. Le premier est la gouvernance locale des ressources forestières. C’est un programme qui vise à asseoir des mécanismes et à créer un environnement favorable au profit des communautés rurales en matière d’exploitation, de gestion, de contrôle de la ressource forestière. C’est un projet d’amélioration des droits d’accès et de contrôle des ressources forestières par les communautés rurales surtout les plus vulnérables. De façon concrète sur le terrain, c’est un processus d’organisation des acteurs surtout les utilisateurs des forêts de concert avec les collectivités pour qu’ils puissent prendre conscience  des enjeux liés aux problématiques des ressources forestières dans leur contexte tels que la dégradation, les changements climatiques.  Il y a également à travers ce programme, la création d’entreprises forestières. Cela veut dire quoi ? Ce sont des groupes de femmes qui ont identifié un produit forestier spécifique. Je prends par exemple le Néré. Elles disent nous allons exploiter les graines de néré pour faire du Soumbala.  Elle crée cette entreprise et nous les accompagnons avec tous les paquets technologiques en termes de formation, d’équipements liés à la transformation et à la conservation ainsi que la commercialisation. Cela devient du business pour ces groupes de femmes qui mettent sur le marché des produits de hautes qualités qui tissent de liens de marchés avec des partenaires locaux et internationaux par rapport à la commercialisation. Cela contribue à améliorer leur revenu. Mais c’est aussi le réinvestissement de ces groupes dans la forêt pour la préserver parce que c’est l’arbre qui produit les graines de néré qui devient le capital. Alors, il faut réinvestir dans sa préservation et sa restauration. Ce programme est financé par la coopération suédoise au Burkina Faso.

Nous avons un autre programme sur la valorisation des produits forestiers non ligneux qui intervient dans 4 régions du pays : le Centre-Ouest, le Centre-Nord, le Nord et  le Sud-ouest. C’est un programme financé par  la Coopération suisse. Le travail consiste à améliorer ou à renforcer le système de production et de gestion des ressources naturelles. Deuxièmement, à accroître la promotion des produits forestiers non ligneux à travers la transformation, la commercialisation et la mise sur le marché. Le troisième objectif de ce programme, c’est comment accompagner  la dynamique organisationnelle du dialogue, de la concertation et du plaidoyer pour que les communautés qu’on accompagne adoptent des mesures favorables  en matière de la valorisation des produits forestiers non ligneux. C’est un programme de 4 ans qui doit prendre fin en 2020.

L’autre programme qui est en train d’être achevé en  partenariat avec l’ICRAF sur financement du ministère des affaires étrangères des Pays Bas est un programme intégré de gestion des sous bassin versant. C’est à dire qu’on met l’ensemble des paquets technologiques de récupération, de valorisation  des sous bassins versants. Là, vous avez des paquets technologiques d’agriculture,  de foresterie et d’élevage qui s’intègrent.

Sentinelle BF : Quelles sont les difficultés rencontrées dans l’exécution de vos programmes ?

Désiré Ouédraogo : Avec la communalisation intégrale, il y a eu beaucoup de textes qui ont été pris en matière de gestion du secteur forestier. Mais le grand problème c’est que l’application de ces textes demeure toujours une difficulté. Cela est dû au transfert de ressources et de compétences qui n’est pas encore une réalité sur le terrain dans certains secteurs tel que le secteur forestier. Nos programmes travaillent à travers l’influence et les plaidoyers pour qu’il y ait une effectivité de ces transferts de ressource et de  compétence pour que les acteurs au niveau local puissent véritablement jouer leur rôle  dans  la gestion des ressources forestières de leur espace territorial.

Au niveau des acteurs locaux, la grosse difficulté, c’est de fois les conflits liés aux ressources forestières.  En cela nous travaillons à travers l’élaboration des chartes locales de gestion de ressources forestières pour permettre aux différents usagers de la forêts d’édicter des règles et s’accorder sur les modes de gestion consensuelle en conformités avec les textes en vigueurs en matière de gestion des forêts.

Sentinelle BF : Y a t-il d’autres difficultés majeures que vous rencontrez ?

Désiré Ouédraogo: Malgré les efforts multiples des acteurs et des communautés, on a l’impression que la tendance de la dégradation ne s’inverse pas. Ces actions sont comme une goutte d’eau dans la mer. Cela constitue une difficulté également. Les  actions de plantation et de reboisement uniquement ne peuvent pas concourir à une restauration  totale et dans les meilleurs délais de nos ressources forestières. Il faut les combiner avec d’autres approches telles que la gouvernance forestière pour la gestion des ressources existantes par des techniques telles que la régénération naturelle assistée. Mais on ne peut assurer cette gestion ou engager les communautés de façon progressive  et soutenue que si elles sentent que leur profit, leur sources d’approvisionnement de profit sont sécurisés. Ce qui n’est pas de fois le cas, nonobstant, des disposions juridiques qui existent. Je citerais la loi 034 sur les la sécurisation  foncière en milieu rural qui sont des dispositions qui devaient effectivement permettre aux acteurs de mieux sécuriser leur espace. Vous conviendrez avec moi que lorsqu’on s’engage sur une action, l’espoir c’est de tirer profit. Mais si à un moment donné, on ne sent pas venir le profit, où s’il est compromis par des actions de court terme, cela ne motive pas. Nous rencontrons cela sur le terrain et on développe des initiatives pour relever les défis.

Sentinelle BF : Selon le dernier rapport de l’ONG Greenpeace sur la protection de l’environnement, environ 50 millions d’hectare de forêt ont été détruits depuis 2010 ? Quelle appréciation faites-vous de ce résultat du rapport ?

Désiré Ouédraogo : De prime abord, ce sont des chiffres choquants.  C’est vrai que c’est à l’échelle mondiale mais ce sont des chiffres criards, surtout au regard de l’intervalle de temps. C’est quand même alarmant et alertant. Mais si l’on regarde sur le plan mondial, la plupart des pays qui contribuent à la hausse de ces chiffres, ce sont des pays à forte production de cacao, de palmier à huile etc. Ces destructions massives, ce sont des monocultures. Notre appréciation en tant qu’ONG œuvrant dans le domaine de l’environnement, est qu’il faut des mesures fortes pour inverser la tendance. Certes, des mesures fortes sont prises à travers des conventions, des accords, mais le constat est qu’il n’y a pas d’application. C’est cela notre  inquiétude. Nous avons notre infime contribution à apporter, mais c’est très faible par rapport à ce que l’on dit. Au Burkina Faso par exemple, les superficies des forêts qui se dégradent chaque année sont estimées à 105 000 ha.

Sentinelle BF : Le même rapport, indique que les forêts sont détruites en raison des activités liées essentiellement à l’agriculture, comprenez-vous cette situation ? Les agriculteurs ont-ils tort de détruire des forêts au profit de terre culturale ?

Désiré Ouédraogo : Je dirai oui et non.  Oui parce que lorsqu’on suit l’évolution de nos pratiques culturales, peut-être que nous même pays sahéliens avons compris tôt et pratiquons l’agroforesterie. Mais quand on prend certains pays, c’est de la monoculture. Et ce sont des milliers d’hectares de culture de ‘’je ne sais quoi’’. Tout cela aussi  est lié à ce qu’on nous a appris et suggérer en terme de culture de masse. Maintenant, les consciences sont en train de changer, même en Europe. Une exploitation basée sur une coupe rase de milliers de superficies pour pratiquer l’agriculture ne peut que compromettre les forêts.  C’est également lié aux besoins mais, il est démontrer que l’on peut répondre aux besoins de nourritures sans passer par ce type  d’exploitation. Je dis non aussi parce qu’on a démontré par le biais de l’Agroforesterie que l’on peut produire autant en associant culture et arbres. D’où la nécessité de revenir sur ces pratiques pour contribuer  à réduire significativement cette tendance de dégradation des différentes forêts.

Sentinelle BF : Un autre cas de figure qui cristallise  l’attention de l’opinion publique au Burkina Faso, c’est la probable destruction de la forêt de Kua pour la construction d’un Centre hospitalier. Est-il pertinent aujourd’hui de détruire partiellement cette forêt classée pour cet hôpital ?

Désiré Ouédraogo : Si on l’a classée, cela répond à un besoin spécifique de protection des ressources qui s’y trouvent. L’initiative de création de forêts classées date des années d’indépendance. D’ailleurs depuis cette période, je ne crois pas que le Burkina a classé des forêts. Je ne parle pas d’immatriculation.. Si depuis ces temps coloniaux, il n’y a plus eu de forêts classées, préservons au moins celles qui existent déjà. Pour  nous, parler même de destruction, ne serait-ce que partielle est inadmissible au regard de l’importance qui n’est plus à démontrer de nos forêts et de  l’arbre  qui du reste ne couvre que 14% du territoire alors que la norme internationale veut que cela soit au moins à 30%. Nous n’avons même pas cela et nous voulons détruire ce qui existe.

Sentinelle BF : Comment appréciez-vous les actions du Ministère en charge de l’environnement ?

Il faut dire que le ministère est l’un des partenaires de l’ONG. Nous travaillons en étroite collaboration avec une synergie d’action autour de nos projets et programme. Nous saluons cela. Mais il faut reconnaître que le ministère de l’environnement a besoin effectivement de renforcer ses actions en matière d’environnement pour beaucoup plus de poids sur l’échiquier étatique. Au regard de nos ressources forestières, au regard du nombre de personnes  qui s’appuient sur ces ressources pour assurer le minimum de leur pitance journalière, on a intérêt à placer les questions environnementales parmi les priorités des priorités des burkinabè. Il y a certes des efforts qui sont faits, mais cela reste en deçà des attentes des acteurs et des communautés surtout des paysans. Nous discutons avec ce ministère afin d’attirer l’attention sur la nécessité de se doter vraiment d’un certain nombre d’orientations assez fortes et nous plaidons à ce que le gouvernement apporte plus de moyens à  ce ministère.

Sentinelle BF : L’arbre est-il en danger au Burkina Faso ?

Désiré Ouédraogo : La forêt est en danger. L’arbre étant un produit de la forêt, si l’on veut être objectif, il y a un danger. Malgré tous les efforts qui sont fait pour inverser la tendance, il faut avoir le courage de l’affronter et se dire que tout ce qu’on a comme difficultés liées aux effets du changement climatique ou environnementale tout court sont véritablement des questions de l’heure. Cela nous interpelle pour dire qu’il faut travailler au regard de ce contexte, à voir quelles sont les actions et stratégies qu’il faut développer pour pouvoir avoir un environnement qui va mieux se porter et être moins en danger parce que quoi qu’on dise, c’est un contexte véritablement d’agression constante et permanente. Il est constant parce qu’il y a des besoins qui sont là et les agriculteurs ont tendance à tout détruire pour pouvoir avoir une meilleure exploitation  en se disant qu’il n’y a pas assez de terres agricoles alors que ce n’est pas vraiment ça la réponse. Des études montrent effectivement le contraire. Il vaut mieux asseoir des techniques agroforestières qui permettent aux producteurs d’avoir de meilleurs rendements et en profitant encore des produits que lui procure l’arbre. Tout cela nous interpelle à trouver des solutions pour endiguer le phénomène.

Sentinelle BF : L’arbre est peut-être en danger, mais TREE AID est présente pour le protéger alors, quelles sont les actions à court et moyen terme que votre structure entend conduire pour mieux défendre les arbres et l’environnement ?

Désiré Ouédraogo : L’arbre est en danger mais on va garder l’espoir. Comme vous le savez, il y  a toujours des acteurs engagés dans ce sens et l’État aussi à travers sa politique démontre qu’il y a une prise de conscience et une volonté affichée. C’est vrai que nous sommes dans un contexte où les  ressources ne sont pas assez pour répondre à l’ensemble des préoccupations, mais ce n’est pas pour autant qu’on va croire qu’il n’y a pas de volonté. L’existence de politiques dans ce sens est déjà un engagement. Ce que nous faisons à TREE AID et que nous allons continuer de faire est la conduite des actions de gestion, protection, restauration et de valorisation des produits forestiers. Nous allons continuer de nous appuyer sur notre vision, c’est à dire l’arbre est un moyen de lutte contre la pauvreté. L’arbre est une source de vie.

Propos recueillis par A.T. et A.Z

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