Burkina Faso : Le secteur apicole est « devenu un secteur d’émergence. », Désiré Yaméogo (APISAVANA)

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« Apisavana » reste l’une des marques de miel les plus populaires au Burkina Faso. Produit par l’ONG burkinabè Wendpuiré basée dans la Cité du Cavalier Rouge, le miel « Apisavana » se trouve dans l’essentiel des régions du pays des Hommes intègres et sa qualité fait en sorte qu’il s’arrache comme des petits, selon son promoteur. Dans l’interview qu’il nous a accordée, le premier responsable de cette ONG, Désiré Marie Yaméogo, nous ouvre les portes de son entreprise, nous fait descendre dans les méandres de l’histoire « d’Apisavana » et esquisse les perspectives pour son Centre apicole et pour la filière apicole au Burkina Faso. 

Sentinelle BF : Vous êtes à la tête d’une structure qui fait entre autres dans la commercialisation de miel et de ses produits dérivés au Burkina Faso, d’abord dites-nous d’où est parti votre « amour pour le miel » à titre personnel bien évidemment ?

Désiré Marie Yaméogo : J’ai découvert l’apiculture grâce à un ami d’enfance qui s’appelle Pierre LANDRON. Pendant 20 ans nous avons correspondu ensemble nous nous sommes vus pour la première fois le 22 août 1994. De 1975 à 1994, nous étions des adultes déjà. J’avais 12 ans en 75 et lui aussi. Moi j’étais devenu professeur. De retour d’un stage de langue en Autriche, je me suis arrêté pour le connaître puisque cela faisait 20 ans que nous correspondions sans s’être vus. Lui était un apiculteur amateur. C’est durant ce séjour là qu’il m’a emmené dans ses ruches. De retour de ce voyage, il m’a convaincu du bien fait de l’apiculture pour la santé des populations juste en voyant les traces de cicatrices de plaies à mes jambes. Quand il a vu ça, il dit, mais pourquoi ? Pourquoi de grosses cicatrices comme ça ? Je dis jeune africain, gamin, on joue au ballon, on se blesse et les parents n’ayant pas les moyens pour s’acheter les médicaments rapidement, les plaies durent avant de se cicatriser. Et ça laisse des traces. Il dit mais vous n’avez pas de miel au Burkina? « Tu ne sais pas que le miel est l’un des meilleurs cicatrisants ? ». C’est comme cela qu’il m’a emmené dans un hôpital, au CHU de Limoge là où le Professeur Descaute faisait tous les pansements post-opératoires à base de miel. Mais il fallait du miel de qualité. Du miel non brûlé afin qu’il contienne toutes ses propriétés thérapeutiques. Quand je suis rentré au pays, il m’a mis la pression. Un jour, il m’a fait un mandat de 100 000 franc CFA à l’époque pour me dire d’acheter une ruche. Quand j’ai pris l’argent, j’étais obligé d’aller acheter la ruche et démarrer l’activité. J’ai alors acheté deux ruches et je les ai installées dans mon village à Palogo. Les abeilles sont entrées et quand je lui ai écrit, il m’a acheté la tenue, l’enfumoir tout le nécessaire de travail et me faire un colis. C’est comme ça que j’ai démarré. En 1999, il m’a invité en France. Là, il m’a envoyé chez les professionnels pour me former. J’ai reçu une très bonne formation de trois mois là-bas et un peu en Allemagne également. Fort de ce voyage, j’ai décidé de partager ces connaissances avec mes frères et sœurs ici au Burkina.

Sentinelle BF : Comment l’ONG Wendpuiré a-t-elle été créée, quels sont ses objectifs et pourquoi avoir fait le choix de s’investir dans le secteur de l’apiculture ?

Désiré Marie Yaméogo : Je suis parti de mon résultat où j’avais une dizaine de ruches. Je vendais mon miel à tous les curés, à tous les gens de mon entourage. Et j’ai réuni une dizaine d’apiculteurs traditionnels de deux villages de Koudougou. On s’est réuni et je leur ai montré ce que je faisais. Je leur ai dit, vous pouvez y arriver. Mais pour commencer, pour avoir un miel sain, il faut commencer par améliorer la qualité de votre travail où vous n’allez plus avec le feu mais vous allez avec l’enfumoir, une tenue et même récolter avec vos ruches traditionnelles et cela peut être acheté. Quand ils ont accepté, chaque soir quand je finissais mes cours à partir de 17 heures, j’allais dans chaque village, on montait sur les arbres où se trouvaient leurs ruches traditionnelles, je leur montrais comment récolter leur miel avec l’enfumoir. Je leur donnais des tenues, ils montaient avec moi, ils enfument et voient que c’est même plus facile qu’avec leur feu où ils soufflent pour faire la fumée et parfois eux même sont essoufflés. Même que quand vous voyez le miel récolté par ces méthodes traditionnelles, c’est plein de cendres. Même si vous filtrez, vous trouverez toujours les traces de cendres. Alors qu’avec l’enfumoir, c’est juste une fumée qui va et qui éloigne les abeilles et vous récoltez tranquillement. C’était donc les emmener à changer leurs habitudes de travail pour obtenir un produit sain et de meilleure qualité. Après, progressivement, nous les emmenions à découvrir l’avantage de travailler avec une ruche améliorée dite kenyane par rapport à leur ruche traditionnelle généralement de forme cylindrique. Et c’est comme cela que l’acceptation d’évoluer est venue. Mais si nous étions venus leur dire : arrêtez tout ce qui est traditionnel, jetez moi çà et passez à ces ruches-là, jamais le message ne serait passé. Donc de façon pédagogique, on a emmené les gens à découvrir par eux même ce qui est gagné économiquement et l’aisance du travail avec ces ruches qui sont à terre et qui évitent les accidents de travail.
Naturellement mes amis, nous ont accompagné dans les années 2000 à former les acteurs à savoir d’abord construire des ruches eux-mêmes, à savoir produire les tenues, à savoir produire tout le matériel apicole et pouvoir maintenant développer le Centre. Nous sommes allés rechercher d’autres partenaires pour mettre en place le premier Centre de l’association WendPuiré, le Centre de promotion apicole que nous appelons aujourd’hui le Centre apicole Leon Braure. C’est grâce naturellement à l’ambassade de France au Burkina à l’époque, dans les années 2002, et l’Association le Relais qui est une structure socio-économique en France que nous avons pu mettre en place ce premier Centre inauguré le 21 novembre 2003.

Sentinelle BF : Comment votre structure s’approvisionne-t-elle la matière première ?

Désiré Marie Yaméogo : Du premier Centre apicole inauguré en 2003 avec une capacité de production de 1,400 tonne et avec 54 producteurs, nous sommes aujourd’hui à plus de 200 tonnes avec un millier d’apiculteurs. Nous travaillons aujourd’hui dans 8 régions du Burkina : le Centre ouest, Les hauts bassins, les Cascades, le Sud-ouest, le Centre est, le Centre Sud, la Boucle du Mouhoun et un peu l’Est, où 80 producteurs y ont été formés et équipées en 2016-2017 dans la grande forêt de ‘’Tapoo boopo’’. Mais compte tenu de la situation sécuritaire actuelle, nous avons stoppé un peu là-bas.

Sentinelle BF : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez en tant que apiculteur ?

Désiré Marie Yaméogo : Les difficultés que nous rencontrons aujourd’hui c’est le besoin de renforcement de capacité des acteurs. Ils ont besoin d’apprendre. Ils veulent apprendre. Ils ont compris que cette filière est réellement devenue un outil économique. Mais pour se développer il faut des connaissances. Ça c’est important. Ensuite, les difficultés qu’ils ont, ce sont les coûts du matériel moderne qui n’est quand même pas à la portée du monde paysan. Du coup, la tendance est de continuer avec les ruches traditionnelles qui ont beaucoup de limites. Donc des besoins de financement à ce niveau. Troisième difficulté, c’est de travailler à effectivement développer davantage les ruches. Mais ça, nous y sommes. Nous travaillons à développer le marché national, le marché sous régional, et pourquoi pas le marché international.

Sentinelle BF : De façon générale, on n’est tenté de vous poser cette question. Comment se porte le secteur apicole au Burkina Faso ?

Désiré Marie Yaméogo : Moi je me dis que le secteur est devenu aujourd’hui un secteur d’émergence. La filière apicole est devenue une filière d’émergence. D’ailleurs, elle a même été reconnue comme faisant partie des filières prometteuses de telle sorte que dans le projet PADELB(Projet d’appui au développement du secteur de l’élevage) du Ministère des ressources animales, la filière apicole fait partie des six filières qui sont promues et qui bénéficieront d’un appui pour leur développement. Pour dire que même l’État a pris conscience de son importance dans le cadre même de la diversification de nos activités agricoles.

Désiré Marie Yaméogo est confiant quand à l’avenir de la filière miel.

Sentinelle BF : Pour les consommateurs du miel burkinabè, la qualité pose bien souvent problème. On évoque parfois des mélanges d’autres produits comme l’eau et le sucre. En tant que professionnel, comment reconnaître le vrai miel pur et naturel, du entre griffe faux miel?

Désiré Marie Yaméogo : Nous passons par des analyses scientifiques. Vous savez le Burkina Faso fait parti des premiers pays de l’Afrique occidental qui viennent d’avoir la possibilité d’exporter le miel dans l’Union Européenne. Pendant deux ans, nous avons mis en place un comité interministériel qui a travaillé avec l’appui de l’Union européenne pour mettre en place un plan de surveillance qui a été validé par l’Union Européenne à Bruxelles. Avant de permettre que le Burkina Faso puisse exporter son miel. Donc pendant deux ans, tout miel est échantillonné et envoyé dans un laboratoire agréé en France pour des analyses. Et si on trouve des traces de pesticides, d’antibiotiques, il est déclassé. Si c’est trafiqué, il y a trop de saccharose dedans, c’est identifié et on vous rejette ça. Sans compter que nous avons des critères locaux. Nous avons de petits réfractomètres qui permettent de voir la teneur en eau et en sucre. Lorsque le taux en eau est élevé, le miel se fermente très vite. Si le taux de sucre est élevé à la normal habituel également on se pose des questions. Ce sont des petites analyses à notre niveau. Sinon, à l’œil nu comme ça, c’est un peu difficile.

Sentinelle BF : Vous produisez du miel de la marque Apisavana, un miel de qualité et appréciez par tous, d’où vient ce nom et comment expliquez-vous une si bonne renommée de ce produit sur le marché burkinabè ?

Désiré Marie Yaméogo : Apisavana est venu de fait que lorsque nous avons quitté les frontières du centre-Ouest, à nos débuts dans les années 2000, 2002, 2003 jusqu’en 2006, on l‘appelait miel du Boulkiemdé. Mais à partir de 2005 quand nous avons été invités dans d’autres régions telles que la Boucle du Mouhoun et l’Ouest, pour aller former les producteurs là-bas, garantir le rachat de leur production, il était devenu malsain que garder l’appellation miel du Boulkiemdé alors qu’on se trouvait dans des régions comme la Boucle du Mouhoun. Il fallait donc trouver un nom commercial qui permette à chaque région de se retrouver. Apisavana vient du grec « apis » qui veut dire « abeille ». « Savana » c’est la savane en portugais. C’est donc une combinaison qui donne ‘‘le miel issu de l’apiculture de la savane’’. Ça permet à toutes les régions du Burkina de s’y identifier. Donc le nom Apisavana vient de cela afin permettre à toutes les structures et à toutes les régions que leurs produits s’y identifient.

Sentinelle BF : Le miel Apisavana peut-il être trouvé dans toutes les provinces du Burkina Faso et est-ce qu’il peut être trouvé en dehors du Burkina Faso ?

Désiré Marie Yaméogo : 1611 points de ventes au Burkina Faso et 22 points de ventes dans la sous-région. Nous nous sommes dit que nous devons travailler à rapprocher le miel du consommateur. Et c’est pour cela que nous avons travaillé en sorte que nos boutiquiers du quartier l’acceptent. Au départ, ils refusaient. Non, ce produit-là, nous on ne veut pas ça. Si ça vient ici ce sont des malheurs. Nous leur avons dit, prenez ça et exposer si ça ne sort pas, on vient enlever. Et petit à petit, quand les gens ont commencé à voir, ils s’étonnaient. Et ça a commencé à sortir. Donc nous avons proposé des pots de conditionnement à la bourse de chacun. De 30 g, 250 g, 500g, 720 g, 1kg, 1,5kg pour que chacun puisse avoir en fonction de ses capacités aussi et de sa bourse.

Sentinelle BF : Quels sont vos projets à court et moyen terme ?

Désiré Marie Yaméogo : A court terme, nous venons d’être identifiés comme étant un projet important au niveau du projet PADEL-B. Donc à court terme nous sommes en train de mettre des alliances avec nos producteurs associés pour aller à la recherche de subventions et de prêts bancaires pour appuyer nos acteurs afin qu’ils puissent développer leur capacité de production qu’ils puissent s’équiper davantage pour produire du miel de qualité. Améliorer nos infrastructures pour accueillir une quantité beaucoup plus importantes de miel de qualité et pouvoir le mettre à la disposition du consommateur burkinabè, sous régional, africain, et en dehors du continent.

Sentinelle BF : Combien de sites dispose WendPuiré ?

Désiré Marie Yaméogo : Nous avons 4 sites : Koudougou qui peut traiter 100 tonnes miel. Bobo-Dioulasso qui est notre Centre futuriste qui a été construite depuis de 2008-2009 pour vraiment orienter vers l’export international qui pourra traiter près de 450 tonnes de miel. Actuellement nous travaillons à finaliser une salle de stockage d’environ 200 à 250 tonnes de miel qui doit même être climatisée, réfrigérée pour pouvoir stocker le miel pendant des années sans qu’il ne se détériore pour l’export international. Un centre de formation professionnelle et de recherche Pierre Duponchel à Mangodara. C’est 55 hectares où avec l’appui de nos partenaires, The Stern Stewart Institute, un partenaire Allemand, nous avons travaillé à construire des infrastructures pour mettre près de trois cent ruches fonctionnelles, construire une miellerie, construire une salle de formation, des dortoirs, construire des logements pour les formateurs et pouvoir maintenant former les acteurs qui ont atteint un certain niveau qu’ils aillent vers la professionnalisation. Nous travaillons, cette année, l’un des projets c’est de mettre en place un petit centre de recherche pour développer l’élevage des reines et pouvoir mettre à la disposition des ruchers ; une ruche une reine pour démarrer. Ne plus attendre que ça vienne de la nature. Donc nous sommes en train d’aller vers la professionnalisation. Et nous avons un quatrième centre sis à Bagré au niveau de projet de pôle de croissance de Bagré.

Sentinelle BF : Quel message avez-vous à donner à vos clients et vos partenaires ?

Désiré Marie Yaméogo : D’abord à l’endroit de nos clients, c’est de les remercier pour leur confiance à Apisavana. A Apisavana, nous travaillons à promouvoir la qualité c’est ce qui fait que nous insistons sur la formation de nos acteurs. S’ils comprennent l’importance d’un miel de qualité pour la santé des hommes et des femmes, ils le consommeront, ils comprendront que c’est même pour leur santé et partant de là pour tous les burkinabè. Ce qui fait qu’aujourd’hui, nous avons mis en place des jeunes techniciens qui font même le suivi de nos acteurs directement sur le terrain. Nous en avons 15 comme cela qui sont repartis sur le territoire national et qui vivent avec les producteurs pour les accompagner parce que nous travaillons à développer davantage notre filière. Nous n’avons pas intérêt à tricher. Celui qui se croit plus malin trouvera plus malin en face de lui. Donc nous les remercions pour leur confiance et nous les rassurons de notre volonté à garantir un miel de qualité à leur intention. Deuxièmement, un grand merci à tous nos partenaires qui nous ont fait confiance depuis pratiquement 20 ans à nous accompagner. Je pourrai citer les principaux : Le Relais, l’ONG The Stern Stewart Institute TSSI, l’Ambassade de France au Burkina. Des partenaires que sont la Maison de l’entreprise, le projet Bagré pole, le ministère de ressources animales et halieutique, le ministère de l’environnement à travers ses projets PIF, le ministère de la jeunesse et de formation professionnelle à travers le FAFPA ; Tous ces partenaires qui ont eu confiance en nous et qui nous permettent de former les acteurs davantage afin de leur donner un professionnalisme qui leur permette d’avancer, à tous ces partenaires nous leur disons merci pour la confiance faite à WendPuiré et à tout son personnel.

Propos recueillis par Ahmed Traoré et Constant Garané 

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