Burkina Faso : « Notre objectif principal est de rendre la filière lait un secteur dynamique et porteur. », Nour Al Ayatt, président de l’Interprofession de la filière lait (IPRO-Lait)

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La filière lait au Burkina Faso fait face à d’énormes difficultés qui écrasent les élans de développement de cette filière qui reste un secteur à fort potentiel économique. Des efforts sont consentis par les acteurs de la filière pour la dynamiser et la mettre sur orbite, mais ils ne sont pas aidés par les politiques communautaires et les importateurs de lait qui inondent le marché national avec des produits à bon marché. Nour Al Ayatt est le Président de l’Interprofession de la filière lait du Burkina Faso (IPROLAIT/BF), une structure engagée dans la promotion du lait local au Burkina Faso. Dans cette interview qu’il nous a accordée, il s’exprime sur la situation du lait local au Burkina Faso, les difficultés à lever pour que cette filière puisse atteindre sa vitesse de croisière et mieux contribuer au développement du pays des hommes intègres.
L’interview du Président de l’Interprofession de la filière lait du Burkina Faso (IPROLAIT).  

Sentinelle BF : De façon résumée, présentez-nous l’Interprofession de la filière lait du Burkina Faso ?

Nour Al Ayatt Ouédraogo: L’interprofession de la filière lait du Burkina Faso est une structure de promotion de la filière lait au Burkina Faso dont le processus de création a débuté en 2001 avec la Table filière lait de Ouaga et celle de Bobo qui regroupaient notamment les producteurs, les transformateurs et les distributeurs de lait. Alors, ces deux Tables filière lait ont fusionné en 2007 pour donner naissance à la Table filière lait du Burkina qui a été reconnue en 2008 par les autorités burkinabè. En septembre 2013, avec l’appui du PAPSA, nous sommes arrivés à créer les deux grandes Unions que sont l’Union nationale des producteurs de lait du Burkina et l’Union nationale des transformateurs de lait du Burkina. En décembre 2013, nous avons organisé une Assemblée générale constitutive qui a donné naissance à l’Interprofession de la filière lait du Burkina Faso (IPROLAIT/BF). Voilà donc résumé la genèse de l’Interprofession.

Sentinelle BF : Quels sont les objectifs que s’est assignés cette Interprofession de la filière lait du Burkina Faso (IPROLAIT/BF) ?

Nour Al Ayatt Ouédraogo : Notre objectif principal est de rendre la filière lait un secteur dynamique et porteur. Nous avons en outre pour objectif d’augmenter la production de lait du Burkina, contribué à résorber la question du chômage des jeunes et des femmes et assurer une sécurité alimentaire au Burkina Faso.

Sentinelle BF : Quelles sont les difficultés qui assaille la filière lait actuellement au Burkina Faso ?

Nour Al Ayatt Ouédraogo : La filière lait, c’est d’abord trois maillons essentiels : La production, la transformation et la distribution. Au niveau de la production, il y a un faible potentiel du cheptel, la saisonnalité de la production, l’insuffisance de l’amélioration génétique des troupeaux laitiers, l’insuffisance voire l’indisponibilité de certains intrants entrant dans la production du lait. Au niveau de la transformation, il s’agit du cout élevé de l’énergie, le manque de matériel approprié pour la transformation du lait, insuffisance du lait insuffisance de la diversification des produits transformés. Pour la distribution, il y a un manque de professionnalisme des acteurs de ce maillon, une absence de communication autour du lait local, la mauvaise qualité de la présentation des produits laitiers et surtout la concurrence déloyale que nous imposent les importateurs de produits laitiers.

Sentinelle BF : La concurrence déloyale parlons-en. Les producteurs du Nord sont taxés d’inonder le marché du Sud avec du lait bon marché et de maigre qualité, quelle lecture faites-vous de cette réalité ?

Nour Al Ayaat Ouédraogo : Il faut dire que c’est notre cheval de bataille. De quoi s’agit-il ? En fait, il s’agit essentiellement du lait en poudre qui a différentes catégories. Il y a le vrai lait en poudre et le lait en poudre qui est dégraissée, rengraissée à l’huile végétale et revendue sur nos marchés à moindre coût… puisqu’en réalité ce n’est plus du lait. Comment est-ce que nous, nous réagissons ? Depuis les années 2000, nous misons sur l’amélioration de la productivité de notre lait à travers des formations professionnelles des acteurs de la filière. Nous travaillons également à faire comprendre aux populations que le lait local est de plus grande qualité comparativement au lait reconstitué qui inonde nos marchés. A travers nos différentes actions de sensibilisation et de promotion, nous constatons que les populations commencent à mieux connaitre le lait local et ses valeurs intrinsèques et nutritionnelles. De façon concrète, la poudre de lait qu’on vend dans les boutiques reconstituées, normalement pour avoir la valeur en matière sèche du lait il faut 1 Kg pour environ 7.5 litres d’eau, des gens vont le reconstituer pour environ 1 kg pour 10 litres d’eau. Donc, c’est quoi vous buvez, ce n’est même pas du lait. D’abord au départ, le lait n’est pas de qualité, ils vont ajouter beaucoup d’eau et qu’est-ce qu’ils vont faire, ils vont ajouter des arômes avant de le mettre à la disposition du consommateur. Il faut donc travailler à mieux faire comprendre aux populations que lait n’est pas lait.

Sentinelle BF : Comment tout cela peut se passer avec l’aval des autorités des pays du Sud ?  

Nour Al Ayaat Ouédraogo : Vous savez la poudre de lait est taxée à 5% contrairement aux autres laits, notamment le lait concentré, qui sont taxés à 20%. Alors que le lait concentré est beaucoup plus consommé dans les villages parce qu’il peut se conserver plus facilement et on dit que c’est pour les pauvres. Donc la politique de l’UEMOA n’a pas permis de développer la filière. Maintenant, ils ont compris et la filière lait qui était prioritaire au niveau du Burkina est devenue prioritaire au niveau de l’UEMOA. Et il y a une politique qu’ils sont en train de développer pour soutenir la filière lait. Nous, au niveau de l’Interprofession de la filière lait nous avons voulu que 5  à 10francs cfa puisse être prélevé sur les importations de lait afin de soutenir la filière lait local, mais on nous a dit que cela va à l’encontre des règles du commerce international. Et pourtant d’autres pays comme le Maroc protègent leur filière lait en interdisant la reconstitution du lait en poudre à fin commerciale. Il faut bien noter que nous ne sommes pas contre le lait en poudre, seulement nous voulons du lait en poudre de qualité pour nos populations parce que le jour où il y aura un scandale du lait, les consommateurs ne feront pas le distinguo entre le lait en poudre importé et le lait local.

Sentinelle BF : Est-ce que aujourd’hui également les producteurs burkinabè peuvent satisfaire le besoin de consommation du lait au Burkina Faso ?

Nour Al Ayaat Ouédraogo : Bon, c’est vrai qu’au Burkina Faso, nous avons souvent des crus de lait. Mais lorsque nous avons un accompagnement véritable des politiques pour développer la collecte du lait un peu partout au Burkina Faso, nous pourrions améliorer la production de notre lait qui pourra ensuite satisfaire les besoins de consommation de nos populations. La filière lait s’était réjoui en 2013 avec l’avènement d’un projet, le Projet de développement de l’élevage laitier dans la zone péri-urbain de Ouagadougou (PDEL/ZPO) qui prenait en compte la construction d’une unité de transformation d’une capacité de près de 30.000 litres par jour, la construction de plus d’une vingtaine de Centres de collectes qui allaient être alimentés par des citernes isothermes, mais malheureusement cela a piétiné et le projet est en souffrance. Bon maintenant, il y a une dynamique dans l’amélioration génétique à travers les inséminations artificielles et c’est fait. Et moi je pense que s’il y a un véritable accompagnement des acteurs de la filière en amont et en aval, nous pourrions couvrir en tout cas une bonne partie des besoins de consommations de lait de nos populations.

Sentinelle BF : Est-ce que vous voulez nous faire croire que le lait local est de qualité garantie pour les consommateurs ?

Nour Al Ayaatt Ouédraogo : Oui, le lait local est 100% de qualité parce qu’il y a un travail de fond qui est réalisé pour que ce soit le cas. Un accord avait été signé avec le Laboratoire national de santé publique pour le contrôle qualité de nos produits.

Sentinelle BF : Quels sont les défis actuels que la filière lait doit relever pour pouvoir atteindre sa vitesse de croisière ?

Nour Al Ayaat Ouédraogo : Avec certains partenaires, nous avons élaboré un plan stratégique 2017-2022 qui prend en compte les trois dimensions de la filière lait à savoir la production, la transformation et la distribution. Au niveau de la transformation, nous avons comme action d’améliorer la conduite des troupeaux laitiers, la professionnalisation des acteurs l’amélioration génétique, l’intensification de la production du fourrage et l’accélération de la mise en place d’unité de production d’aliment pour bétail, création d’une centrale d’achat et définir les cahiers de charge d’un producteur laitier. Au niveau de la transformation, c’est surtout pouvoir juguler le coût de l’énergie en associant les énergies renouvelables. Avec la canicule actuelle, les transformateurs sont en souffrance parce que s’il y a un délestage et que vous n’arrivez pas à assurer la chaine de froid, toute votre production prend un coup puisque le lait reste une denrée sensible. Il nous faut également introduire les nouvelles technologies de transformation de lait, améliorer et diversifier l’offre des produits laitiers transformés et la professionnalisation de ses acteurs. Au niveau de la distribution, nous devons mettre en place des Centres de collecte dynamiques qui pourront absorber la production nationale. Ensuite, il nous faut réussir à organiser cette collecte de lait. Entre autres défis, nous pouvons citer également le renforcement des capacités des acteurs, l’intensification dans la communication autour de nos produits laitiers qui sont sains et enfin la mise en place de circuits de distribution dense à travers tout le pays.

Propos recueillis par Ahmed Traoré et Constant Garané

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