Lait local : « Nous avons suscité l’envie de consommer le lait local au burkinabè », Ibrahim Adama Diallo (UNMPL-B)

Im.Sentinelle BF

L’Union nationale des mini laiteries et producteurs de lait au Burkina (UMPL-B) est l’une des faitières des professionnelles de la filière lait local du Burkina Faso. Elle œuvre au renforcement des capacités et à la professionnalisation de plusieurs dizaines de mini-laiteries que compte le Pays des Hommes intègres. Ces préalables restent somme toute importants afin de gagner le combat contre l’inondation du marché burkinabè voire africain par du lait en poudre importé. Le Président de cette faitière, Ibrahim Adama Diallo a bien voulu nous accorder cette interview dans laquelle il nous fait découvrir l’UNMPL-B, son combat et sa philosophie. Pour lui, le lait en poudre est un lait mort, bien différent du lait frais qui est nutritif. 

Sentinelle BF : Quels sont les principaux objectifs de votre structure ?

Ibrahim Adama Diallo : L’Union nationale des mini laiteries et producteurs de lait au Burkina (UMPL-B) est une association de coopératives exerçant dans le domaine de la production du lait. Elle regroupe 63 mini laiteries. Son siège est à Ouagadougou et dispose d’un personnel de 4 personnes. L’objectif de notre structure est de faire du Burkina Faso un pays dont la population consomme le lait local. Nous voulons contribuer à l’amélioration de l’approvisionnement et la transformation du lait local par des appuis favorables aux producteurs et transformateurs locaux. Donner une place de choix au lait local car c’est un lait plus nutritif et de bonne qualité.

Notre vision est de faire en sorte que le lait local puisse entrer dans les habitudes alimentaires des Burkinabè, de sorte que le travail de lait puisse nourrir son homme, et que la filière soit une filière rentable et pourvoyeuse d’emplois pour nos mamans et nos femmes.

Sentinelle BF : Quel constat faites-vous par rapport à la consommation du lait local au BF?

Ibrahim Adama Diallo : Depuis 1992, nous nous sommes engagés dans ce domaine. Les choses ont évolué et on constate que la mayonnaise est en train de prendre de mieux en mieux. Nous avons suscité l’envie de consommer local au burkinabè à travers nos actions et campagnes de communication. Aujourd’hui on rencontre au Burkina, beaucoup de personnes qui aiment le lait local. Nous incitons et éduquons nos enfants à la consommation du lait local qui est meilleur par rapport au lait importé.

Sentinelle BF : Quels sont les mécanismes que vous mettez en place pour faire barrage à l’invasion du lait importé ? Qu’en est-il au plan institutionnel?

Ibrahim Adama Diallo : Nous avons dans le cadre d’un réseau des organisations sœurs mis en place une action dénommée ‘’les 72 heures du lait local’’. C’est un espace de dialogue et d’élaboration de messages de plaidoyer. Nous avons depuis plus de 5 ans élaborés des messages de plaidoyer à l’endroit de nos États, de la CEDEAO et aussi de l’Union européenne, car leurs textes jouent sur nos marchés ici.

Ce que nous disons, c’est qu’il faut être cohérent. Si vous faites une politique de développement pour aider les pauvres et que votre politique commerciale fait obstruction à leur avancement, cela cause problème. Donc pour nous, il faut faire attention. Nous avons signé des accords internationaux mais il faut que l’application soit réciproque. Il ya des produits qui arrivent chez nous et qui peuvent empêcher les nôtres de connaître une commercialisation optimale. Il faut être plus prudent sur ce point.

Nous participons également à la campagne mon lait est local qui se déroule dans six pays d’Afrique lencer le 1er juin 2018 par Oxfam et les ONG (nationales et Européennes), les OPR et les coalitions nationales. Cette campagne incitent les populations à la consommation du lait local et mene des actions de plaidoyer en direction de la CEDEAO et l’Union européenne.

Nous influençons la politique de la CEDEAO, dans laquelle l’offensive lait est inscrit afin de faire du lait local un produit stratégique. Il est vrai que les intérêts des pays de la CEDEAO sont divergents, mais l’existence de ce cadre nous permet de trouver un juste milieu qui satisfasse chacun.

Aujourd’hui il ne s’agit pas d’empêcher catégoriquement les autres de vendre sur notre territoire, mais nous disons qu’il faut envoyer des produits de qualité pour nous concurrencer. On voit sur le marché du lait dégraissé (soustrait du beurre qui enrichit le lait) et rengraissé (à l’huile de palme, par exemple). Ces produits abusivement appelés lait ne le sont pas dans les pays européens. C’est du lait de moindre qualité vendu à bas prix dans nos pays et qui concurrence déloyalement nos laits d’origine locale et de bonne qualité. C’est pourquoi nous préconisons que ce genre de lait soit taxé plus fort.

Malheureusement ces laits sont sous taxés et les industriels de là-bas envoient en quantité massive ce lait de moindre qualité et comme ils ont des représentants ici, ces derniers les reconditionnent. Et ce lait est vendu dans des petits sachets à vil prix puisqu’ils n’ont pratiquement rien payé à la douane. Il y a des usines relais ici qui font ces reconditionnements. Et nous, notre position c’est qu’on impose sur ces laits importés de véritables taxes, toute chose qui contribuera d’ailleurs à renflouer les caisses de l’Etat.

Sentinelle BF : Que dit réellement la législation sur l’importation du lait?

Ibrahim Adama Diallo : Les pays de la CEDEAO ont signé des accords de partenariat économique avec l’Union européenne. Dans ces accords, l’entrée du lait en poudre en vrac sur nos territoires est soumise à une taxe de 5% sur la marchandise importée. À l’origine l’objet était de combler l’insuffisance du lait dans nos pays. Par la suite on a remarqué une entrée massive du lait dans nos pays au point d’engloutir le secteur national. Nos laiteries sont pour la grande majorité tenues par des femmes. Imaginez le désarroi que cela pourrait provoquer si elles n’arrivent plus à écouler leurs produits du fait de cette concurrence déloyale.

Sentinelle BF : Quel est le réel problème dans ces accords ? Et que dit la CEDEAO ?

Ibrahim Adama Diallo : Certains industriels étrangers se fondant sur cet accord qui en réalité devrait combler le reste de notre production au pays pour déverser de lait en poudre de peu de qualité sur nos marchés. Et comme ils ont créé des filiales dans nos pays, ces dernières reconditionnent ces laits dans de petits sachets et revendus à petit prix. On a l’impression qu’on veut tuer la production locale. Nous menons le combat pour que cela n’arrive pas.

Nous avons rencontré la CEDEAO pour en parler. Il y a des actions telles que  » l’offensive lait » qui sont menées. Et nos États commencent à comprendre qu’il faut protéger notre lait. Nous n’avons rien contre les multinationales bien au contraire, mais nous estimons qu’il faut faire les choses dans le bon sens.

Sentinelle BF : Quelles sont les actions que vous menez pour promouvoir le lait local?

Ibrahim Adama Diallo : Nous travaillons à disponibiliser du lait de qualité. Nos actions de promotion sont portées sur deux éléments: Développer une marque qui identifie le lait local de qualité et deuxièmement travailler à introduire le lait local dans les cantines scolaires.

C’est la consommation qui tire la production. Certaines laiteries ont doublé leur production, parce que le marché est là. Nous menons le combat afin que les cantines scolaires puissent travailler avec les laiteries. Le problème, c’est que depuis longtemps, il est fait en sorte d’intégrer le lait en poudre dans la consommation des populations de sorte que quand vient le moment de goûter le lait local, on y trouve des problèmes de consommation.

Le Kenya a fait l’expérience d’intégrer depuis la base, son lait local dans les habitudes de consommation. Aujourd’hui, c’est le lait local qui est consommé dans toutes les circonstances. Un étranger qui arrive dans une famille kényane est automatiquement accueilli par du lait frais et non du lait en poudre importé.

Sentinelle BF : L’opinion trouve que le lait local est difficile de conservation et très périssable. Qu’en dites-vous ?

Ibrahim Adama Diallo : L’argument de dire que le lait local est un aliment très difficile à conserver et très vite périssable n’est pas juste. C’est parce que ce n’est pas votre aliment de prédilection, sinon vous sauriez le conserver. Le lait frais résiste bien au temps. Ce que le lait n’aime pas c’est un environnement malsain. Le lait exige la propreté absolue. Il faut tenir la laiterie dans un endroit isolé loin des odeurs, ordures etc. Si les bonnes pratiques sont respectées de la traite jusqu’à la transformation, et qu’il n’y a aucune contamination, le lait devient résistant.

Le lait en poudre est un lait mort, il ne contient pas de bactéries (utiles pour l’organisme ndlr), alors que le lait local, demande des soins appropriés. Je conclus que la conservation du lait n’est pas difficile si le processus de production est soigneusement respecté. Le lait frais est très nutritif. Du Gapal fait à base du lait en poudre n’a rien à avoir en matière nutritif avec du Gapal fait à base du lait frais.

Sentinelle BF : Vous avez créé la marque Faire Faso qui a vocation de certification de qualité du lait local, parlez-nous de cette marque.

Ibrahim Adama Diallo : Nous avons créé la marque Fairefaso pour vulgariser nos produits. C’est une marque dont l’étiquette sur les produits lactés consacre la qualité du produit, à l’image des marques déposées. Elle permet de faire connaître et donner de la visibilité à nos produits. Il fallait arriver à départager nos produits des autres. En réalité, il existe des produits laitiers sur nos marchés pour lesquels la plupart des burkinabè pensent qu’il s’agit des produits made in Burkina Faso, alors qu’il s’agit de produits importés. La marque Fairefaso vise donc à proposer aux burkinabè des produits faits à base de lait local dont la qualité a été certifiée par Fairefaso.

Le secteur laitier est aujourd’hui inondé de toute sorte de fabriquant. Nous, nous souhaitons que chacun soit sincère et inscrive sur l’étiquette de son produit les matières qui entrent dans sa fabrication. Nous sommes convaincus du patriotisme du burkinabé, s’il sait que ce lait est véritablement local, fabriqué au Burkina Faso, il n’hésitera pas à le consommer. Aussi, Pour des besoins de traçabilité nous mettons sur les produits le logo de Fairefaso et celui de la laiterie productrice. l’UMPL/B est constitué de 63 mini laiteries, mais pour le moment nous avons permis seulement à quatre (4) mini laiteries de porter la marque Fairefaso.

Il faut noter que le port de la marque est soumis à des conditions établies par la charte qualité de l’Union nationale des mini laiteries et producteurs de lait au Burkina Faso. L’objectif final c’est que l’ensemble de nos mini laiteries portent la marque et même celle qui ne sont pas affiliées à l’UMPL-B.

Sentinelle BF : Quelles sont vos principales difficultés que rencontrent les acteurs d la filière lait outre la concurrence déloyale?

Ibrahim Adama Diallo : En premier, c’est le problème de la sécurité. Je le dis parce que les éleveurs qui sont des producteurs sont réellement touchés par cette situation. Les zones de production sont devenues aujourd’hui inaccessibles. Les zones de transhumances des animaux sont difficiles d’accès. Chez nous, les animaux séjournent en zones périurbaines dans les grandes villes et en saison pluvieuse les animaux se déplacent dans une autre zone pour leur alimentation où il y a moins de culture.

Mais aujourd’hui, ces zones sont inaccessibles pour les producteurs qui se retrouvent du coup coincés dans des zones où il y’a beaucoup des champs de culture. Alors que ces zones de productions provoquent très souvent des conflits inter communautaires, des conflits liés à la terre, les conflits entre éleveurs et agriculteurs.

Aussi, avec cette situation, beaucoup d’éleveurs ont perdu leurs moyens de production. On a appris qu’il y en a qui ont été attaqués et ont tout perdu. Ils ont été obligés de fuir leur espace de production.

Notre prière aujourd’hui, c’est que l’Etat vienne à bout de cette crise sécuritaire afin de permettre aux producteurs de retrouver leurs zones de subsistance. Les mini laiteries et les transformateurs n’arrivent plus à transformer la quantité de lait voulue et leur production a véritablement baissé.

Notre deuxième difficulté majeure, c’est l’alimentation du bétail qui coûte très chère au Burkina Faso. Pour avoir un lait compétitif, il faut avoir des aliments compétitifs. Le prix des aliments pour bétail est disproportionné par rapport au gain. C’est pourquoi nous encourageons les producteurs à s’investir dans la culture fourragère pour compenser le manque à gagner. Malheureusement, le problème à ce niveau, c’est celui de l’espace qui est très insuffisant, parce que celles qui existent sont pour la plupart utilisés pour la nourriture familiale.

Troisième difficulté majeure, c’est la question d’eau et d’espaces consacrés à la production et à la transformation. Nous avions à un certain moment mené des plaidoyers auprès des mairies pour avoir des zones de productions ou d’élevages, à l’écart des habitations des communes pour que ceux qui veulent faire de l’élevage puissent avoir des espaces appropriés. Dieu merci, Il ya des mairies où notre message a été entendu.

Au niveau de la transformation c’est le problème de l’équipement. L’équipement de la transformation du lait est en inox qui est une matière très coûteuse au Burkina. Nous souhaitons que ces équipements soient détaxés afin de minimiser le coût de la production ou que l’Etat accompagne les artisans dans la fabrication de ces équipements.

Sentinelle BF : Quels sont les projets à moyen et long termes de l’UMPL-B ?

Ibrahim Adama Diallo : Nous envisageons couvrir tout le territoire national. Nous sommes appuyés dans cette vision par Oxfam Burkina, AFDI Normandie, AFDI Auvergne et le ministère des ressources animales et halieutique. Oxfam met à notre disposition l’équipement de 10 laiteries par an, ce qui est vraiment énorme. Nous voulons également mettre en place des animateurs dans toutes les zones de production afin de suivre et contrôler le travail qui est fait. L’autre grand projet qui nous tient à cœur, c’est d’amener l’Etat à intégrer les laiteries dans le système des cantines scolaires. Dans cet ordre idée, nous envisageons aussi travailler avec les mairies dans la perspective du renforcement des capacités des laiteries de sorte que lorsque nous serons intégrés aux cantines nous puissions répondre au besoin en lait demandé. Sinon les gens viendront prendre le marché et aller chercher du lait en poudre ailleurs pour nos enfants.

Propos recueillis par Ahmed Traoré et Constant Garané

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